Autrefois à Plozévet . . .
1914-1916
Un Plozévétien, survivant des combats de Maissin,
s'évade des mines de La Ruhr.
Le document qui suit est une transcription mot à mot, d'extraits d'un article du Citoyen paru en août
1916.
Les images sont importées pour accompagner le récit et l'éclairer.
Le prisonnier dont on évoque l'évasion est Corentin HELIAS, soldat au 62ème RI, né en 1890 à
Kerguiden en Pouldreuzic. Selon le Citoyen, son frère Alain était également prisonnier à Ohrdruf en
1915.
En 1916 il habitait avec ses parents à Kermenguy, en Plozévet.
En septembre 1919, à Plozévet, il épousa Anne-Marie ANDRE, née en 1891 à Kerguinaou où ses
parents étaient cultivateurs.
Corentin devint manœuvre, il mourut à Nantes en 1970.
Anne-Marie était ouvrière d'usine à Chantenay où elle décéda en 1972
''Corentin Hélias, domicilié au village de Kermenguy en Plozévet, né à Pouldreuzic le 3 février 1890,
soldat au 62è régiment d'infanterie, 5ème compagnie, de Lorient.
Mobilisé dès le début de la guerre, le soldat Hélias fut blessé peu grièvement au nez et à la joue gauche par
ricochet d'une balle, le 23 août 1914 à Maissin (Belgique) ; se rendit à l'ambulance pour s'y faire panser ; y
était encore lorsque les allemands ayant cerné le village, pénétrèrent dans l'ambulance et firent prisonniers
tous les blessés.
Fut transporté deux jours après en Allemagne ; au cours du voyage eut à supporter ainsi que ses compagnons
d'infortune, les injures des femmes allemandes ; les enfants lançaient des pierres par les portières des
wagons ;
après deux jours de voyage, arriva à Ohrdruf.OHRDRUF
Logé pendant cinq mois dans une caserne, fut dirigé sur le camp de concentration dans des baraques en planches. Le
nombre de prisonniers cantonnés dans chaque baraque était d'environ 800, groupés par sections.
Dans le camp : 20 000 environ dont 15 000 Français et 5 000 Russes.
Une triple clôture de fils de fer barbelés entourait le camp ;
La nourriture a toujours été insuffisante, mais était mangeable au début ; par la suite les aliments devinrent tout à fait
mauvais : pain KK, fait principalement de pommes de terre, de fèves etc... ; dans la soupe on trouvait des châtaignes
pourries, de l'orge, des rutabagas, des betteraves ; comme viande : petites portions de lard, saucisson, conserves
avariées ; les denrées que l'on pouvait acheter à la caserne étaient hors de prix.
Les travaux.
Les prisonniers étaient occupés principalement à l'installation du camp ou faisaient des corvées.
Gardiens.
Le soldat Hélias n'eut pas à supporter de mauvais traitements de la part des officiers avec lesquels d'ailleurs les
prisonniers avaient peu de rapports ; par contre les sous-officiers et soldats allemands se conduisaient comme de
vraies brutes ; ils frappaient les prisonniers à coup de pied et de crosse pour les motifs les plus futiles.
Punitions.
Les punitions étaient très sévères; prison : coucher sur la planche avec, comme nourriture, un morceau de pain, de
l'eau et une gamelle de soupe tous les quatre jours.
Il y avait également le poteau auquel le patient était attaché bras et jambes liés.
Les gardiens essayaient de démoraliser les prisonniers par de fausses nouvelles : prise de Paris, révolution en France,
défaites des Français, des Russes, etc...
Au mois de juin 1915, Hélias fut envoyé au camp de Münster où il resta trois semaines avant d'être désigné pour
aller travailler chez des cultivateurs ; son équipe comptait 27 hommes surveillés par des factionnaires ; prit part à des
travaux de fenaison et de moisson, la nourriture étant à peu près suffisante ; elle consistait en viande : bœuf ou lard,
ration de pain : 250grammes par jour et par homme ; recevait 6 sous par journée de travail.
Les travaux agricoles étant terminés, revint au camp ; dans l'intervalle la discipline était devenue très sévère et les
punitions pleuvaient dru.Munster-1915
Fut envoyé ensuite dans un petit camp situé à proximité des mines de Büren à 200 km au sud de Münster.
Travailla dans la mine à l'extraction du charbon à 700 mètres sous le sol.
Durée du travail : 8 heures par jour et 16 heures de travail le mardi et le vendredi.
Très mal nourris, les prisonniers recevaient 16 sous par journée de travail. Monnaie en carton qui n'avait cours qu'à
l'intérieur du camp.
Cinq prisonniers essayèrent de s'évader en creusant un souterrain qui partant de la baraque avait son ouverture
dehors de la clôture du camp ; réussirent à sortir du camp mais furent repris un jour après et ramenés au camp ; ils
furent punis d'un mois de cachot et privés de nourriture pendant 2 jours.
EVASION
Hélias préparait son évasion depuis un an.
En 1915 alors qu'il travaillait à la campagne, il avait pu acheter, avec les quelques sous qu'il recevait, une casquette,
une cotte bleue et un pantalon de velours qu'il put dissimuler malgré les recherches des gardiens.
Il avait fait la connaissance du soldat Plagnol, du 7è régiment d'infanterie ; tous deux résolurent de s'évader, mais
auparavant songèrent à se procurer une carte, une montre et quelques vivres.
Plagnol put s'emparer d'une petite carte qu'il avait remarquée attachée à l'intérieur du wagon qui les transportait à la
mine. Hélias acheta à la cantine une montre qu'il paya 16 marks ; il économisa aussi quelques biscuits et boîtes de
conserve sur les colis qui lui étaient adressés par le « Paquet du prisonnier de Quimper ». Tout était prêt, le 5 juin ;
Après le travail à la mine revenaient au camp vers 11 heures du soir.
La colonne sur le côté de laquelle marchaient des factionnaires, baïonnette au canon, ayant traversé un bois, Hélias
et Plagnol firent un bond dans le bois et culbutèrent plusieurs fois avant de prendre leur course : ils n'avaient pas fait
100 pas que déjà ils entendaient les sentinelles crier « HALT ! » pour faire arrêter la colonne ; marchèrent ainsi sous
bois jusqu'à 2 heures du matin, heure à laquelle ils atteignirent la lisière. Se cachèrent dans un champ de seigle et y
passèrent la journée.
Ils allèrent ainsi 6 jours, cachés pendant le jour dans le seigle et les pommes de terre, faisant sécher leurs vêtements
mouillés et marchant pendant la nuit, à partir de 10 heures 1⁄2 du soir, se guidant avec l'étoile polaire et faisant route
vers le N.O. pour se rapprocher de la frontière hollandaise.
Ne furent rencontrés par aucun habitant. [...]
Le 6ème jour après avoir traversé des marais et ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, franchirent la frontière hollandaise
vers 1 heure du matin. Pas de sentinelles allemandes ou hollandaises ; s'en aperçurent à un fragment de journal
hollandais qu'ils trouvèrent sur la route vers 3 heures du matin.
Ils s'approchèrent de la ville de Winterswyk, rencontrèrent un soldat hollandais qui, après les avoir appréhendés, les
conduisit au poste de police où ils furent bien accueillis.
Envoyés dans un hôtel, un bon repas leur fut servi.Après un repos de 2 jours au cours desquels ils furent visités par des jeunes gens qui leur payèrent à boire (de la
bière), ils furent dirigés sous la direction d'un sous-officier sur Rotterdam et reçus par le Consul français le 13 juin.
Celui-ci les habilla à neuf et leur donna un florin, pourvut à leur subsistance, leur délivra ensuite un passeport pour
l'Angleterre ;
Firent la traversée sur un bateau hollandais et débarquèrent à Southampton.
Ils prirent le chemin de fer pour Folkerstone d'où Hélias envoya une dépêche à sa mère.
Ils rentrèrent à Boulogne le 17 et débarquèrent à Paris.
Ils se rendirent au Ministère de la Guerre où un rapport fut rédigé sur leur évasion.
Les deux amis se quittèrent alors, Plagnol rentrant à son dépôt de Cahors et Hélias arriva à son dépôt de Lorient le
21 juin dernier.
Renseignements divers.
A obtenu une permission de 15 jours à passer à Plozévet.
Hélias a pu constater qu'en Allemagne il ne reste pas d'hommes valides qui ne soient mobilisés.
Les femmes travaillent à l'entretien et à la réfection des voies ferrées ; un détail : elles son vêtues en hommes. Les
civils sont mal nourris, les denrées atteignent des prix fous : un demi kilog. de lard vaut 6 marks.
Plozévet, le 9 juillet 1916. signé E. L
Signatures de Corentin Hélias et des témoins lors de son mariage