Dans le Finistère, la vigne se (re)fait une place au soleil
Dans un contexte de changement climatique, la hausse des températures favorise la plantation
de (nouveaux) vignobles au nord de la Loire. A Plozévet, commune littorale du sud Finistère,
un village porte un nom singulier : Penviny. Ce nom se traduit par bout de la vigne ou d’une
manière plus romancée là où commence la vigne. Cela voudrait-il dire que la culture de la vigne
y a prospéré au point de nommer ainsi ce village situé à 500 mètres de la baie d’Audierne ?
I - Un peu d’histoire :
Les informations ci-dessous sont tirées des recherches d’Albert Deshayes, auteur de plusieurs
dictionnaires et articles de toponymie bretonne (étude des noms de lieux). Plusieurs noms de
villages de Plozévet apparaissent dans la Réformation des Fouages de 1426, encore connue sous
le nom de « Actes de Réformation de la noblesse bretonne », commandée par le duc de Bretagne
François 1 er (Son cousin François II, également duc de Bretagne quelques années plus tard, est le père de la
duchesse Anne de Bretagne) . Ce sont en particulier les villages de Brenhuez, Kergongar Nabades,
Poulcazan parmi 20 manoirs ou lieux nobles. Les noms sont donnés dans leur graphie d’époque.
En 1514, le marquis de Tyvarlen (Landudec), dont le nom figure dans Poul ar Marquis et qui
possédait un certain nombre de villages à Plozévet, vend la totalité de ses possessions au Sieur
De Névet : dépendaient de lui en particulier Gorreker, Kergoff, Kergourhier, Kermenguy,
Lescunez, Leuzre et Penguyny. Une autre date de relevé est mentionnée et concerne le village
de Lestuhan (1338) dont le nom apparaît dans le cartulaire de l’église de Quimper.
Ces dates ne sont pas celles de l’acte de naissance de chacun de ces villages, mais l’attestation
la plus ancienne trouvée à ce jour. Les hommes qui ont baptisé ce lieu Penguyny y vivaient
peut-être vers l’an 1000 et peut-être en des temps plus reculés. Songeons à Plozévet qui apparaît
pour la première fois, sous la forme Vicarium Demett, dans la charte 45 du cartulaire de l’abbaye
de Saint Guénolé de Landévennec, qui date du milieu du XI ème siècle. Paroisse primitive, c’est-
à-dire créée dès l’installation des Bretons venant de Grande Bretagne en Armorique,
(principalement entre le V ème siècle et le VII ème siècle), Plozévet doit son nom au patronage de
Saint Demet (ou Devet), saint originaire du sud du Pays de Galles et qui porte le nom d’un
ancien royaume gallois, le Demet devenu aujourd’hui le comté du Dyfed.
Voici ce qu’écrit Albert Deshayes : Penviny (Penguyny 1514) comprend les noms « penn »,
bout, et « gwini », vigne. Tout laisse donc à penser que l’on a cultivé la vigne en ce lieu.
1514, nous sommes à la charnière entre la fin du moyen âge et le début de la renaissance.
(Rappelons-nous 1515, Marignan, « l’autre François 1 er » et les guerres d’Italie).
1514, la duchesse Anne de Bretagne vient de décéder à Blois à l’âge de 37 ans. Sa fille Claude
de France épouse François 1 er roi de France un an plus tard.
II – Le cadastre napoléonien de 1828 :
En faisant un grand bond en avant, trois siècles plus tard reste-t-il des traces d’un vignoble à
Penviny et dans les environs immédiats ?
Dans une étude très fouillée sur la microtoponymie locale, Gilles Goyat publie en 2022 un livre
intitulé « Plozévet : la terre et les hommes, an douar hag an dud ». Il a « disséqué » le cadastre
parcellaire plozévétien achevé en 1828 où figurent tous les noms de parcelles, nomméespresqu’exclusivement en breton. Les noms de milliers de parcelles sont classés en fonction de
la géographie physique, la flore, la faune, la géographie humaine...Un travail de Romains ...qui
ont peut-être apporté la vigne jusqu’en Armorique. Hélas aucun nom de parcelle n’évoque un
lien quelconque avec la culture de la vigne. Sur la base du cadastre napoléonien, cette culture
n’existait plus à Plozévet en 1828 et avait disparu de la mémoire des hommes « du cru ».
Il est vrai que 3 siècles se sont écoulés entre la première trace écrite de penguyny et le travail
des géomètres qui ont réalisé le précieux cadastre de 1828. Trois siècles et probablement
beaucoup plus ; ha si l’on pouvait remonter le temps jusqu’à la nomination des lieux par nos
anciens.Voici ci-dessus un extrait de la section D de pouldu du cadastre de 1828 où figurent en haut du
plan Lestuyen et son moulin à vent, plus bas Penviny (l’autre porsion sic du village de penviny
est comprise dans la section E de Keringard) et tout en bas la porsion du village de Pors
Ambréval.
On note toute une série de parcelles orientées à l’est-sud-est (parcelles n° 403 à 429) formant
des lanières parallèles. Elles partent du roz (coteau) pour descendre en pente douce jusqu’aux
parcelles orientées sud-ouest exploitées en prairie (foennec). Au milieu de ces prairies coule un
ruisseau qui prend sa source au nord de Lestuyen et se jette dans la mer entre Pors Ambréval et
Poulbrehen. Il subsistait, entre Penviny et Pors Ambréval, un long mur de pierres sèches
parallèle au ruisseau, mur qui a disparu lors du remembrement de 1965.
On peut penser que la série de parcelles en lanières, de par leur orientation (soleil du matin et
du midi), leur sol plutôt lourd en surface et caillouteux-drainant en profondeur, leur situation à
l’abri des vents salés de l’océan tout proche (500 m), paraissent propices à la culture de la vigne.
De plus, la pluviométrie moyenne en ce lieu reste faible (~ 800 mm/an) et les jours de gel se
comptent sur les doigts d’une main. Merci la douceur océane qui agit comme un immense
climatiseur collectif et gratuit en atténuant les frimas de l’hiver et en écrêtant les pics de chaleurs.
De la vigne, oui mais quel(s) cépage(s) : peut-être du pinot, du chardonnay, des variétés
bourguignonnes ou des cépages locaux acclimatés, en tout cas des cépages précoces. La
christianisation et l’usage du vin de messe a pu favoriser la production locale de vin blanc.
Mais pourquoi le vignoble de Penviny a-t-il disparu voilà plusieurs siècles ? On peut formuler
une hypothèse ou la conjonction de plusieurs :
- Perte de savoir-faire et de technicité dans la maitrise de la vigne au vin ;
- Pillages et incendies (incursions Vikings, brigandages de la troupe à Guy Eder de La
Fontenelle, troubles en marge de la révolte des bonnets rouges ...) ;
- Interdiction de planter des cépages sur le sol breton, édictée par Louis XIV en 1687 (*) ;
- Non maitrise d’aléas climatiques soudains et répétés (ex : éruptions volcaniques répétées
survenues en Islande au VI ème siècle) ;
- Maladies des cépages locaux ;
- Concurrence d’une culture plus lucrative (lin, chanvre) ou de vins moins chers et
meilleurs venus d’ailleurs ...
(*) Un récent décret autorise la culture de la vigne sur tout le territoire... à compter du 1 er janvier 2016 !
III – Et si la vigne revenait en Finistère :
Le réchauffement climatique bouleverse les vignobles traditionnels et complique le travail de la
vigne et du vin. La ligne de zone favorable à la viticulture va remonter vers le nord d’ici 2050.
Le climat breton pourrait devenir similaire à celui du bordelais. La météo change, températures
et ensoleillement favorables à la viticulture s’établissent progressivement au nord de la Loire.
La carte ci-dessous tirée d’un article paru dans le journal Ouest-France, montre en particulier
que le Rioja espagnol pourrait migrer dans le bordelais et que ce dernier pourrait bien
s’acclimater dans le Finistère et même au Royaume-Uni... o shocking !En Loire Atlantique, la vigne fait partie du paysage depuis des temps immémoriaux et on y
compte aujourd’hui environ 17 000 ha.
On recense déjà 4 ha de vignes dans les Côtes d’Armor, autant en Ille et Vilaine, autant dans le
Finistère (dont 1800 pieds de treixadura à Treffiagat dans le pays Bigouden à environ 2 km de
la côte) et 15 ha dans le Morbihan y compris à Belle-Ile et Groix. L’installation professionnelle
à Treffiagat en 2015 (lieu-dit Ty Gwenn) comporte d’étranges similitudes avec la position
géographique de penviny à Plozévet. Dans son livre « Le renouveau de la vigne et du vin en
Bretagne » très illustré de documents, cartes, tableaux et photos, Guy Saindrenan cite :
Une température moyenne annuelle de 12,6 °C,
Précipitations moyennes annuelle de 817 mm,
Très faible occurrence de gels tardifs et d’épisodes de grêle,
Insolation moyenne annuelle spatialisée égale à 1800 heures,
Ces quelques paramètres ne peuvent qu’évoluer favorablement du fait du changement
climatique et engendrer des dates de vendanges toujours plus précoces avec des vins titrant un
° alcoolique croissant d’année en année.
De nombreux projets d’installations viticoles sont en gestation à travers la région et une
formation « BPA Travaux de la Vigne et du Vin » a démarré au lycée de Kerplouz à Auray.
Au XXI ème siècle et à la faveur de l’amélioration des données bioclimatiques, il est possible que
l’ombre de la vigne réapparaisse à Plozévet, et à Penviny en particulier.