Au 18ème siècle, l'Eglise face aux pilleurs d'épaves. Une grande partie de ces textes est issue du site de l'amirauté (AD29) Des images ont été insérées pour aérer le texte. Avant la Révolution, le recteur et les généraux de paroisses étaient aux premières loges lorsqu'un naufrage survenait. Il fallait une journée, au moins, pour que les messieurs de l'amirauté soient prévenus et se rendent sur place. Pendant ce temps les riverains de la côte avaient déjà eu le temps de s'approprier tout ce que la mer avait apporté sur le rivage, même si, en général, le sauvetage des hommes était la priorité. Voici des relevés de quelques écrits témoignant du rôle joué par les recteurs : 1716, La Torche_Jeune Brasseur B. 4446_4447 ''Les monitoires et réaggraves obtenus de l'évêque de Quimper furent publiés dans toutes les paroisses depuis Beuzec-Conq jusqu'à Quimper et Pont Croix ; quelques témoins se présentèrent mais, dans certaines paroisses où une grande partie de la population avait participé au pillage, ces actes demeurèrent sans effet ; par exemple à Beuzec-Cap-caval le recteur refusa de les publier ; il était lui même au nombre des coupables, et les huissiers de l'Amirauté firent des difficultés pour aller porter les exploits à comparoir dans les paroisses éloignées.[...]'' Le recteur de Plomeur avait refusé de prendre les noms des personnes qui avaient à déposer, Il défendit par écrit de publier les noms des réaggraves. Il avait acheté de l'huile volée pour l'église et pour lui et fut condamné à 400 livres de restitution et 50 livres d'amende. Le 23 Octobre 1729, la « Marie-Thérèse » de Roscoff, un brigantin de 50 tonneaux, venant de Terre-Neuve chargé de morues pêchées dans les parages de Terre-Neuve, s'échoua à la côte de Plozévet. Dès le lendemain midi, le Lieutenant général de l’Amirauté de Quimper se rend à cheval àPlozévet, accompagné du Procureur du roi et d’un interprète « de la langue bretonne »; ils arriveront à la nuit tombée. Le lendemain, le recteur les conduit sur le lieu du naufrage et ils peuvent contempler le triste spectacle du navire que la mer avait enfin jeté à la côte, brisant la coque et répandant la cargaison aux alentours. Malgré la promptitude de l’équipe de garde, il ne fut pas possible d’éviter le pillage. Le capitaine rapporta que lorsqu'il débarqua avec son équipage de sa chaloupe où il s'était jeté pour se sauver, il fut tout à coup entouré par plus de 300 personnes qui se retirèrent à l'arrivée du Recteur de Plozévet, messire François-Hyacinthe de la LANDE de CALAN . Le 31 décembre 1736, ''l’Heureuse Marie'' , un navire marchand de 186 tonneaux venait de Saint-Malo et se rendait à Nantes, chargé d’huile, d’olives, d’anchois, de raisins secs, d’amandes, de figues et surtout de savons. Le navire sombra sur la côte de PLOZEVET, en face de Kerbouron. Il gisait sur le flanc, le bordé éventré et une partie de la cargaison disséminée sur la plage. En peu de temps toute la population locale fut au courant et à marée basse ils se précipitèrent pour récupérer un maximum de choses, en particulier des savons ; Le lendemain le sieur DE SAINT PEZRAN, capitaine garde- côte de la paroisse organisa la surveillance du navire et du reste de sa cargaison. Les officiers de l'amirauté ouvrirent une procédure contre les pilleurs, et dès la première comparution, le 28 janvier 1737, le capitaine, Adrien Vincent, sieur des Marest, accusa tous les habitants du littoral de pillage et de volerie. Le conseiller du Roi demanda un monitoire. L’évêque de Quimper, Mgr de Ploeuc, fut mis à contribution. Il lança des monitoires (1) et réaggraves (2) et peu de temps après les curés du Pays Bigouden montèrent en chaire pour exhorter leurs paroissiens à rendre les produits. Cela fut presque sans effet . 1 – Monitoire : Lettre adressée par l’autorité ecclésiastique aux fidèles leur enjoignant, sous peine d’excommunication, de dénoncer tous les faits répréhensibles dont ils ont connaissance. 2 - Réagrave : Forme d’excommunication qui ré-aggrave les peines de l’excommunié et interdit au fidèle de boire, manger ou d’avoir le moindre contact avec lui. La baie d'Audierne, fréquentée par les charrettes de toute la région, devint le paradis des pilleurs d'épaves. Le recteur de Plozévet, François-Hyacinthe DE LA LANDE DE CALAN ne voulut alors enregistrer aucune déclaration. Il écrivit quelques mois plus tard: « Je n'ay tant tardé à vous envoyer les monitoires et réagraves que dans l'espérance que la quinzaine de Pâques jointe au réagrave auroient mieux concouru à les engager à déclarer, mais j'ay été trompé dans mon espérance. » Il estimait que près du tiers de la population de Plozévet avait participé au pillage. Le recteur de Pouldreuzic, messire NICOLAS pensait que : « Comme nous étions dans le temps pasqual il seroit venu plus de personnes donner leur nom » Il dit aux juges : « Je croix que l'on ne m'a rendu que les licols et que l'on a laissé échapper les chevaux. » Il avait été demandé de restituer le savon ou l'argent de sa vente à une personne désignée dans chaque paroisse. L'année suivante, l'abbé de la Lande de Calan dénonça 9 paroissiens, en demandant de ne pas ébruiter cette dénonciation car il se trouvait parmi eux des personnes redoutables! « Il y a au moins un tiers de la paroisse dans ce cas, mais on ne peut pas les punir tous, il est à propos que la punition ne tombe que sur ceux-ci. Je serois fâché cependant de me compromettre, ainsi, je vous prie que ceci soit secret... » Le compte de Maurepas engagea l'intendant à purger le pays ''de tous ces drôles''.Le recteur envoya alors de nouvelles dénonciations qui visaient tout particulièrement une famille BRANCHU, composée du père et de quatre enfants : « les Branchus sont quatre ''grands drôles'' bien découplés. Outre le père qui n'est pas le moins mauvais, tous bien armés et difficiles à arrêter si l'on ne prend des précautions... » Il estimait que les deux syndics de la paroisse étaient des honnêtes gens et que les autres individus portés sur l'état des pilleurs étaient des gueux qui n'avaient pas pris beaucoup de savon et l'avaient généralement restitué, mais il y avait à Plozévet des gens redoutables : « ...fort robustes et craints ; ces sortes de gens seroient propres à être transportés dans les colonies ... » Ce comportement discrédita fortement le recteur aux yeux de toute la population. Les magistrats de Quimper, qui avaient négligé de continuer l' instruction criminelle après 1739, la reprirent brusquement en 1746. Ils constatèrent d abord que dix-huit des paysans incriminés en 1737 étaient morts d'autres avaient disparu du pays ; les survivants protestèrent de leur innocence, et les témoins déclarèrent qu' ils avaient tout oublié. Il semble que l'affaire fut abandonnée après le 17 mars 1768 . AD 29 (pXXVII) En Cornouaille, les recteurs plus encore que les gentilshommes étaient assez influents pour arrêter l'avidité des paysans : Henry le Postec, recteur de Plonivel en 1732, F-H de la Lande de Calan, recteur de Plozévet en 1748, F Le Garrec et Le Pappe, recteur et vicaire à Plovan en 1750 et 1768, A le Normand, recteur de Tréguennec en 1753, rendirent aux naufragés de précieux services. Janvier 1749 : Lors de la perte des Deux-Frères de Rouen le 5 janvier 1749, le capitaine Olivier Rivet se félicita de la protection qu'avait accordée à l'équipage le recteur de Plozévet, M. La Lande de Calan . Il déplora cependant le pillage d'une partie de l'eau de vie et du vin qui avaient été entreposés dans un local. Les gardiens furent condamnés à de lourdes amendes. Un pilleur d'épave décèda par « débauche excessive d'eau de vie » sans signe de contrition Le recteur refusa l'inhumation en terre bénite : il fut enterré sur la grève de Poulhan .Voici un extrait du registre des enterrements de Plozévet : « Le corps d'Alain Daden, âgé d'environ 35 ans, époux de Catherine le Talidec, décédé dans le village de Lestréouzien de Plozévet, dans une grange dudit village, sa mort causée, à ce qu'il paraît à tout homme prudent et sage, par une débauche excessive d'eau de vie qu'il avait fait à la côte où un bâtiment de Rouen, commandé par le capitaine Rivet était naufragé le 5 du mois de janvier de l'an mi sept cent quarante neuf, chargé d'eau de vie. Ledit Daden, en conséquence de sa débauche étant tombé comme mort à la côte, fut transporté par quelques personnes de bonne volonté, touchées de compassion, dans ladite grange, comme dans un lieu plus abrité, mais dans laquelle on s'aperçut qu'il mourut quelques heures après, sans avoir fait signe de contrition de désir d'avoir un prêtre et fut enterré le 7ème jour dudit mois et an sur le sable de la côte où il fut transporté par Joseph Lucas et Guillaume le Goff de Kerhat, Henri Canévet de Kerlaoueret, lesquels ont déclaré ne savoir signer, de ce interpellé suivant l'ordonnance . » En foy de quoy j'ai signé : Joseph Julien, prêtre. » Le 13 février 1750, un bateau de 250 tonneaux parti de Nantes vint s'échouer sur le rivage de PLOVAN. Son capitaine déclara que le recteur lui avait rendu beaucoup de services, et fit don au presbytère, d'une partie des objets récupérés sur le navire. Cet ancien presbytère a également occupé la fonction de poste de douane et de demeure d'habitation . Le 5 fevrier 1752, le Saint Jean-Baptiste de Penpoul*, échoua à la côte de Plonivel. Le procureur, Hervé le Pape, se rendit à la côte en même temps que le recteur Henry LE POSTEC et celui-ci chercha à consoler l'équipage. Il donna son cheval au capitaine en disant en breton d'aller au presbytère ; il l'assura qu'il était tombé dans un bon pays où l'on tâcherait de le secourir. *Paimpol le 29 novembre 1757, pendant une tempête, "Notre Dame de la Charité", navire espagnol venu à la côte de Plovan, au lieu de Loc'h K/guen, Le courrier du recteur de Plovan annonçant le naufrage à Quimper est ainsi rédigé: "On est venu ce matin à quatre heures, me dire qu'il y avait un navire espagnol à la cotte de Plovan. J'ay été moi-même voir, et la relation qu'on m'en avait fait se trouve conforme. L'équipage n'a eu aucun mal. Il ne scait que l'espagnol et nous ne pouvons pas nous entendre. Je ne scais au juste de quoi il est chargé, mais j'ai vu tous le village couvert d'orange et de citrons. Tout un chacun porte son morceau. Ainsi je vous prie d'en avertir les messieurs de l'amirauté, afin qu'on puisse remédier au plus tôt au pillage (...) A Plovan le 30 novembre 1757, signé L. GUEGUEN recteur de Plovan" En 1768 un sieur le PAPPE, prêtre de Plovan a nourri et soigné pendant 5 jours le capitaine de ''la Marie-Anne'' échoué auprès de Tréménec: ''Naufrages : 1768 — La Marie-Anne, de Rouen, de 80 tonneaux, capitaine C. Hamelin, échouée près de Trémenec, en Plovan, le 16 septembre •, état des frais du sauvetage : au sieur Le Pappe, prêtre de Plovan, pour avoir nourri et soigne pendant cinq jours le capitaine blessé et son second, 18 livres, etc '' Le 27 février 1773, ''La Fortune'' de Copenhague s'échoue à la côte de Plozévet. Le capitaine et les 12 hommes d'équipage furent noyés. M. Cossoul, d'Audierne écrit : ''On pille le navire de tous côtés, accourez au plus tôt si vous voulez prévenir le désordre''. Un peu plus tard le recteur LEGENDRE écrit : ''Je pense qu'en vendant le bois et autre chose on ne s'est pas bien expliqué, car on m'a assuré qu'on y avait trouvé de l'étain de glace, des pièces de toile, des ancres... Tout cela ne nousdonnera que de l'embarras pour la pâque qui approche. Il y a des gens de Quimper et d'ailleurs qui courent les villages pour acheter des couvertures et autres choses...'' B. 4384 Le 28 décembre 1781, La Miséricorde '' de Bordeaux, 260 tonneaux, se brise à Plouhinec. Le capitaine et 8 marins furent noyés. Le navire était plein de vivres pour le compte du Roi allait à Saint-Domingue. Le recteur LEGENDRE, de Plozévet, loua, à cette occasion, l'attitude de Charles Seradin, l'un de ses paroissiens qui lui a remis une bourse contenant 9 pièces d'or : ''... tout autre que lui n' aurait point apporté cet argent, mais c'est un honnête homme et qui mérite récompense. '' B 4392 Le 22 septembre 1783, lors de la foire de PLOVAN, les paysans de PLOZEVET , PLONEOUR, PLOVAN , POULDREUZIC... apprirent qu'un trois-mâts, le ''Frederika '' s'échouait à la côte de Plozévet. Immédiatement ils se dirigèrent vers le rivage pour observer les opérations et se préparer à un éventuel pillage que les temps de disette et de misère rendaient très opportun . Le général de paroisse et la paroisse de Plozévet furent condamnés à 4000 livres de restitution, n'ayant rien fait pour prévenir le pillage et faciliter l'identification des coupables . En 1786, le recteur LEGENDRE écrivait à l'Intendant du royaume : « La paroisse vient d'être condamnée à une amende considérable pour le pillage du navire de Brême la ''Frederika'' : « un arrêté du Conseil permet une levée de 4400 livres pour faire face aux condamnations énoncées par l'Amirauté de Quimper. Ce sont des gens sans bien et sans probité qui n'ont rien à perdre, ni du côté de la fortune, ni de la réputation, qui commettent ces pillages et ces vols répréhensibles et ce sont les honnêtes gens qui sont punis pour le brigandage de quinze ou vingt coquins dont plusieurs ne sont plus dans la paroisse et d'autre sont des paroisses voisines. [...] Une mortalité affreuse désole cette paroisse. Nous enterrons cinq à six morts par semaine. Depuis le commencement de janvier jusqu'à ce jour 24 avril, vingt quatre enterrements bien comptés et plusieurs autres qui ont reçu les derniers sacrements. Nous sommes quatre prêtres qui courent jour et nuit. » L'Intendant fit envoyer 120 livres pour acheter du pain et quelques remèdes. . . 23 décembre 1819 à Plozévet : Le dimanche 16 janvier 1820, on lisait dans le ''Journal de Rouen'' : ''Le 23 du mois dernier, un bâtiment assez considérable, poussé par un vent violent, est venu échouer sur le littoral des communes de Plovan et de Plozévet. On est heureusement parvenu à sauver l'équipage composé de 6 hommes, et même à conduire à terre la plus grande partie de la cargaison consistant en vin de Bordeaux, mais la déplorable coutume qu'ont les habitants de côtes de piller les navires naufragés, la promptitude avec laquelle des milliers d'hommes se portent à la fois vers le lieu où ils savent qu'un bâtiment est en péril pour s'en partager les débris faisaient craindre qu'on ne pût soustraire à leur affreuse rapacité les effets qu'on serait parvenu à sauver d'un autre danger. Plusieurs brigades de douaniers s'étaient réunies sur le point où les marchandises étaient déposées ; mais elles étaient trop peu nombreuses, et il est très probable qu'elles qu'ellesn'auraient pu résister aux bandes que l'espoir d'une aussi riche proie avait rassemblées, sans le secours d'un digne ecclésiastique, M. PERROT, curé de Plozévet*. Cet homme respectable, depuis qu'il exerce ses fonctions dans cette commune, a usé de toute l'influence que lui donne son ministère pour imposer à ses paroissiens l'horreur de cette coutume sauvage, de ce préjugé barbare qui leur fait considérer comme leur propriété tout ce que les flots apportent sur leurs côtes. Aussitôt qu'il eut connaissance du pillage qui se préparait, il accourut, renouvela ses exhortations, pria, insista, et par ses efforts, par l'ascendant que ses vertus lui ont acquis, il prévint tout désordre. Il ne quitta le rivage que lorsque le pillage fut devenu impossible, et voulu même y passer la nuit, pour être à portée de prévenir de nouvelles tentatives. '' [...] * Il est né en 1867 à Bourg Blanc. Il y en fut maire de 1797 à 1803. En 1804, il est ordonné prêtre à 37 ans. De 1819 à 1834, il fut recteur de Plozévet. On disait de lui qu'il était méprisant et hautain, se prenant pour '' Dieu sur terre''... Beaucoup de polémiques sont nées pendant ces années !! Dans cette page du Journal de Rouen on en découvre un aspect inconnu : il allait au devant des pilleurs d'épaves et il était ''propagateur de la vaccine''. Quelques décennies plus tard, Auguste BRIZEUX publia « Les Bretons » dont voici un extrait où il évoque les pilleurs d'épaves et l'aubaine d'un naufrage.... chant IX La prière à St Beuzec: Statue de St Beuzec (église de Plozévet) numérisé par Gallica :