« Seulement il n'a pas quitté Plozévet, le
doux pays qui lui a donné le jour, et qu'il a
constamment habité depuis 1896, après
avoir travaillé à Trélazé.
C'est lui même qui, le journal à la main, est
venu le dimanche 22, protester à la Mairie,
contre l'incroyable abus qui a été fait de
son nom et de son état civil.
Oui, Tanneau, le Tanneau condamné par la
cour d'assises d'Orléans et de Paris, est un
paisible et doux marchand de beurre qui
n'a pas quitté le village de Kervinou depuis
17 ans.
Et pourtant le parquet de Paris prétend
qu'il a dirigé un journal anarchiste, alors qu'il ne sait ni lire ni
écrire, et que,
victime d'un fâcheux accident qui l'a rendu boiteux il y a quelques
années, il a
grand peine à se diriger lui même.
Le cruel aurait abandonné sa femme avec
laquelle il vit et des enfants qu'il n'a jamais
eus.
Cachez votre titre, ô pieuses feuilles de
Bretagne ! Voilezvous la face et frémissez
d'horreur en songeant que le pays de la
bruyère et des clochers à jour a pu produire un
tel monstre, car du moment que Le Courrier du
Finistère a affirmé que le criminel est de
Plozévet, le fait quoique faux est destiné à
devenir vrai. »
"Les cieux et la terre passeront, mais cette
croyance ne passera pas."
Histoire et Patrimoine raconte :
Autrefois à Plozévet...
N°19
La vraiefausse histoire d'un Plozévétien de Kervinou !
Jean TANNEAU est né à Kervinou en 1867, ses parents sont cultivateurs.
Jean
n'ira pas à l'école. En 1905, il ne signe pas au bas de son acte de
mariage. Son
frère aîné, Henri, s'installera à Kervinou avec son père et le cadet
devra donc
aller «chercher fortune» ailleurs : il travaillera quelques années aux
ardoisières de
Trélazé, comme beaucoup de Finistériens de cette fin du 19ème siècle.
En 1891 et 1896, seule la famille de son frère Henri* et son père
Etienne sont
recensés à Kervinou.
En 1901, Jean a 33 ans, il est ouvrier agricole chez Henri, à Kervinou.
Jean se marie en 1905 avec Marie Anne Le Berre de Plovan..
En 1906 ils sont recensés à Kervinou : Jean a 42 ans, il est coquetier.
Marie Anne
a 31 ans, ils n'ont pas d'enfant. Marie Le Berre, sœur de Marie Anne,
22 ans, est
journalière chez eux. En 1911, ils y vivent encore tous les trois.
Progressivement certains Tanneau deviendront Tannou dans les actes
d'état civil,
tout en signant Tanneau !
*Henri était le père de celle qui devint Catherine Douirin, boulangère
au bourg, et de Marguerite Le Quéré
(''méméTannou'') qui vendait des sabots et des pantoufles au bourg.
Page 1La vie s'écoule paisiblement à
Kervinou. On note seulement un
petit problème avec la police des
halles à Douarnenez, en 1909,
comme le relate le Progrès de l'Ouest.
C'est vers cette époque que Jean
Tanneau se dédouble, un truand lui
a volé son identité. On ne parle de
lui qu'à travers son double.
Voici donc, son incroyable ''vraiefausse histoire'' :
Anarchiste au tribunal d'Orléans en 1913 :
« Dès neuf heures, ce matin, M. Loison, juge au tribunal d'Orléans,
remplaçant M.
le juge d'instruction Desplanches, a commencé les interrogatoires des
anarchistes
qui, sous des inculpations diverses, sont actuellement incarcérés à la
prison
d'Orléans.
Tout d'abord ce furent les deux faux monnayeurs, Tanneau et Gelly, qui
furent
amenés dans son cabinet.
Tanneau fit un récit invraisemblable. Le magistrat a relevé dans les
déclarations
des deux inculpés des contradictions telles qu'elles laissent la porte
ouverte à
toutes les suppositions, voire à la possibilité d'une association
importante de
malfaiteurs se réclamant des idées libertaires.
Tanneau est un homme de quarantecinq ans environ, de taille moyenne,
d'aspect fort et de physionomie têtue ; il est vêtu d'un pantalon de
velours, d'un
gilet à manches de lustrine et coiffé d'une casquette telle qu'on la
porte à la
campagne.
C'est sur lui qu'on a trouvé, outre 70 pièces de 10 francs fausses, un
poignard et
des journaux anarchistes .
Tanneau déclare qu'il est arrivé à Orléans mercredi de la semaine
dernière, veille
de son arrestation, pour y chercher du travail. C'est par hasard qu'il
aurait
rencontré Gelly.
Page 2
D'où teniez vous ces fausses pièces ? demande M. Loison.
Voici, répond imperturbablement Tanneau : le lendemain de ce jourlà,
nous
avons rencontré, Gelly et moi, un individu que nous ne connaissions
pas, mais
qui se rappelait m'avoir rencontré dans le midi à une réunion publique.
L'inconnu
m'a dit ''tenez moi ça, je reviens dans un instant''.
Le malheur est que le paquet contenait de fausses pièces que Tanneau et
Gelly
s'empressèrent de remettre en paiement à des commerçants orléanais.
Tanneau, marié, père d'une jeune fille de 17 ans, est végétarien et
buveur d'eau.
Il s'en vante au magistrat.
Je réprouve, termine til, toutes ces violences.
Il n'est point besoin de dire combien le récit de Tanneau paraît peu
vraisemblable. Le fauxmonnayeur a déclaré résider à Paris, 74, rue
Compact,
siège social de la VMEB libre ; en outre il a fait connaître que sa
femme résidait à
Montataire. » (Source : Gallica.BNF)
Les vrais fauxmonnayeurs furent condamnés à 4 ans de réclusion.
OuestEclair et Le Courrier du Finistère ont poursuivi le récit les 18
et 19 juin
1913, ajoutant des détails pour rendre l'affaire plus terrible encore.
« Le journal Le Citoyen rectifie quelques jours plus tard, avec le
style qu'on lui
connaît, dans le contexte de l'époque :
Les journaux cléricaux, et notamment Le Courrier du Finistère,
publiaient il y a
quelques jours, avec une visible satisfaction, un article intitulé :
''PLOZEVET Un
Breton chef de bande des fauxmonnayeurs''
Il s'agit d'un nommé Jean Tanneau, né le 22 août 1867 à Plozévet,
anarchiste
dangereux, ami de Bonnot et de ses complices, devenu le bras droit du
directeur
de l'Anarchie et de l'idée Libre, condamné à Orléans à 4 années de
réclusion pour
usage de fausse monnaie, et à Paris, le 18 juin dernier, à huit années
de
réclusion, aussi pour émission de fausse monnaie !!!
Avec quel empressement on a saisi l'occasion de marquer d'un fer rouge
la
commune de Plozévet, qui aurait donné le jour à un tel monstre !
Dans le prochain numéro on apprendra sans doute qu'une telle perversité
est le
fruit d'une éducation laïque.
Eh bien ! Chers censeurs, il faut en rabattre de votre vertueuse
indignation.
Jean Tanneau, le vrai, le seul Tanneau Jean, originaire de Plozévet,
ayant
exactement le même état civil que le condamné existe bien. »
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