Légendes plozévétiennes
L'homme aux doigts de carottes.
An aotrou Bizied Karotez.
Autrefois, tous les enfants de Plozévet tremblaient à l'idée de rencontrer
un jour le terrible Aotrou Bizied Karotez.
Il vivait, caché dans les bois, entre Kerlagadec et Kerveillant.
Il dormait pendant une grande partie de la journée sous le vieux dolmen de
Penker, ou non loin du grand menhir fendu.
C'est là aussi que se trouvait la grande table de granit qui lui servait
les jours
de festin : elle a été ensevelie depuis, par les machines modernes, sous
la
nouvelle route de Pont-L'Abbé.
Dans les temps anciens, tapi derrière les talus des chemins creux, il
attendait
le passage des hommes un peu gris qui sortaient des tavernes du bourg où
ils
avaient sans doute un peu abusé du lambic. Depuis longtemps déjà , ils
auraient dû rentrer traire les vaches et s'occuper du cheval !
Bizied Karotez les faisait rouler dans le ruisseau afin qu'ils rentrent
chez eux
trempés et frissonnant, avec souvent une grosse bosse au front.
L'arrivée du Train-Carottes l'avait rendu plus redoutable encore:
Il guettait les enfants turbulents qui s'amusaient à jeter des pierres
vers la petite locomotive qui se traînait avec peine,
à 18 km/h, sur la voie longeant son domaine.
Les plus téméraires jouaient à courir pour s' agripper au wagon et arriver
ainsi jusqu'à la gare.
L'exercice était dangereux mais on n'a jamais su si certains garnements
avaient réellement vu notre « Homme aux doigts de carottes .
Personne ne s'en serait vanté !Légende ou réalité ?
Il était une fois encore. à Plozévet, entre 1880 et 1905
deux prêtres magiciens (1).
Pierre-Jakez HELIAS, raconta dans le Cheval d'orgueil :
« Or, vers 1910 (2), il y avait à Plozévet deux vicaires qui passaient
pour se livrer volontiers à des tours
de physique .
On racontait qu’ils détenaient un livre de magie qui était peut-être un
Agrippa, ce grimoire qu’il faut
attacher avec une chaîne et corriger à tour de bras pour le faire tenir
tranquille.
L’un d’eux surtout, monsieur C, avait un ascendant considérable sur la
population, y compris les esprits
forts qui ne manquaient point par là-bas.
On allait jusqu’à insinuer à voix basse que l’Homme aux Doigts de Carottes
pouvait être lui. « Un jour de décembre, au début du siècle, monsieur le
vicaire de Plozévet chargé du catéchisme fut si
outré de l’ignorance d’Alain qu’il le mit en pénitence dans un coin de
l’église où il l’oublia de propos
délibéré. Le pauvre Alain, planté les mains au dos sous la statue de saint
Isidore, demeura longtemps à
méditer sur son indignité, ce qui montre qu’à défaut de connaître par cœur
son catéchisme il en pratiquait
la doctrine.
La nuit était tombée quand le vicaire réapparut pour chasser hors du lieu
saint un pénitent décidé à s’y
battre la coulpe jusqu’à l’aube.
Et Alain reprit le chemin de son penn-ti de Kerveillant, assez inquiet en
songeant à la réception qui
l’attendait là-bas et à laquelle saint Isidore lui-même ne pouvait rien.
Hum ! Et dites-moi pourquoi vous étiez si tard à rentrer !
L’enfant dut raconter le catéchisme pas su, le prêtre mécontent, très
mécontent, la pénitence sous les pieds
de Saint Isidore et la lueur de purgatoire sur la mer.
C’était bien monsieur L qui faisait le catéchisme, demanda le sabotier.
Oui.
Alors il a monté un tour de physique pour vous, mon fils.
Monsieur L sait comment les faire.
Il a le Livre.
Et vous n’avez rien à dire. Il a voulu vous punir de votre ignorance. Bien
fait pour vous.
(1) Voir le papier du 12 avril le maréchal-ferrant
(2) La date est incompatible avec la suite du texte, où il est dit que
l'oncle de l'auteur, né en 1890, allait au
catéchisme. En 1910 il avait largement passé l'âge !
St Isidore